Pourquoi les ventes en première semaine des rappeurs ont-elles baissé ?
Retour sur la fin des précommandes aux Etats-Unis.
A l’heure où les ventes en première semaine représentent un enjeu important pour leur image, les artistes multiplient les stratégies pour les booster. Les labels ont ainsi profité pendant des années du système des packs de précommande ou « bundles ». C’est notamment l’album « ASTROWORLD » de Travis Scott qui a mis en lumière ces pratiques et donc, marqué un tournant dans la baisse des ventes les années suivantes.
L’affaire ASTROWORLD
Le 3 août 2018, Travis Scott sortait son album « ASTROWORLD » : véritable succès commercial avec 537 000 copies vendues en première semaine dont 270 000 en physique. Un chiffre impressionnant atteint notamment grâce à une stratégie de packs de précommande.

Selon les versions, ils comprenaient une pièce de merch inédite (casquette, t-shirt ou hoodie), une place de concert, des stickers autocollants et un CD/vinyle avec parfois une cover alternative.
Même si ces éléments étaient assez courants dans les packs de l’époque, « ASTROWORLD » a servi à pointer du doigt le phénomène notamment avec la dénonciation d’une autre artiste.
Dénonciation de Nicki Minaj
La rappeuse, qui sortait une semaine plus tard son album « Queen », pointait alors du doigt cette pratique :
« Il vend des t-shirts et des places de concert avec son album, ce n’est pas loyal, moi je n’ai que ma musique à vendre ».
Elle considère que ses fans n’auraient pas forcément acheté ses CD s’ils n’étaient pas vendus avec d’autres produits.
Son album sorti le 10 août s’était alors classé deuxième du Billboard avec 185 000 ventes, juste derrière « ASTROWORLD » qui atteignait la première place avec 205 000 ventes alors qu'il s'agissait de la deuxième semaine après sa sortie.
Il faut noter que malgré cette plainte, Nicki Minaj utilisait également des stratégies similaires mais moins poussées. Elle vendait elle aussi des places de son « NICKIHNDRXX Tour » avec Future via la précommande de son album.
Son intervention a eu pour effet de questionner le public sur l’éthique de ce système.
Une pratique déloyale ?
Les périodes de précommande s’étalaient sur plusieurs semaines avant la sortie des albums. L’artiste accumulait alors des ventes physiques ensuite comptabilisées dans sa première semaine, boostant ainsi les chiffres.
Des stratégies pour booster les ventes ont toujours existé. Prince par exemple avait vendu 158 000 des 632 000 copies de son album « Musicology » en première semaine avec des places de concert en 2004.
Mais ces stratégies se multiplient depuis l’ère du streaming car les copies physiques sont devenues des objets de collection pour soutenir l’artiste, et non plus un moyen de réellement consommer la musique. Comme elles restent plus rentables pour les maisons de disques, ces dernières veulent continuer à les vendre notamment via le système de précommande.
La copie physique revient également moins chère lorsqu’elle est vendu dans un pack promotionnel, il est donc plus facile d’en écouler. On peut donc se demander si certains fans ne se seraient pas contentés de streamer l’album si la copie physique était vendue seule.
Face à ces interrogations le Billboard décide de réagir.
La fin des précommandes
Le 9 octobre 2020, le Billboard annonce la fin de la comptabilisation des albums vendus dans des packs de pré-commande. L’effet est immédiat : la moyenne des ventes en première semaine des albums classés N°1 passe de 174 000 en 2020 à 151 000 en 2021.
Certains artistes ayant profité des bundles voient leurs chiffres chuter entre les albums sortis avant et après la réforme.

- Kendrick Lamar DAMN. 603 000 ventes (58% physique)
– Mr Morale & The Big Steppers 295 000 ventes (12% physique)

- Post Malone Hollywood’s Bleeding 489 000 ventes (41% physique)
– Twelve Carat Toothache 121 000 ventes (17 % physique)

- Drake Scorpion 732 000 ventes (22% physique)
– CLB 613 000 ventes (7% physique)

- J. Cole KOD 397 000 ventes (43% physique)
– The Off Season 287 000 ventes (13% physique)
Pas d’effet à long terme sur les ventes
Un artiste avec une fanbase engagée continue à vendre autant de copies physiques mais sur une plus longue période, et non concentrées en première semaine. Le Billboard remarque même une légère hausse des ventes dans les mois suivant la sortie de l’album.
Taylor Swift a par exemple vendu 102 000 vinyles de son album « Evermore » en une semaine, un an après sa sortie en 2021. Un record depuis 1991.
Taylor Swift’s "Evermore" breaks the modern-era record for biggest vinyl album sales week. https://t.co/ghMr8UhZVn
— billboard (@billboard) May 31, 2021
Vers une interdiction en France ?
Les bundles existent toujours en France, participant aux énormes chiffres en première semaine de certains artistes. On peut noter qu’Orelsan, recordman du nombre de vente en première semaine dans le rap français, a vendu 96 000 des 139 000 copies de son album « Civilisation » grâce aux précommandes.
Le cas le plus connu est celui de Vald, qui a vendu 40 000 des 73 000 copies en première semaine de son album « V » grâce à des packs de précommande de 5 CD comptants chacun comme une vente.
Cet album avait posé problème à sa sortie car le SNEP accusait un retard dans la comptabilisation des ventes. Suite à une plainte de Vald sur Twitter, le syndicat avait répondu que c’était justement le système de précommande qui avait retardé leur travail.
Booba avait par ailleurs traité Vald de « tricheur » et pris à partie Bertrand Burgalat, directeur du SNEP, en message privé. Sa réponse ainsi qu’une interview au Parisien confirme un futur changement au niveau des bundles en France :
« Nous ne reviendrons pas sur les chiffres de Vald, mais nous allons revoir les règles de ces comptages de précommandes ».

Les ventes en première semaine sont au final qu’une façade. Si un artiste a une fanbase engagée, il vendra des copies physiques, bundles ou non.
Néanmoins, elles sont aujourd’hui un grand enjeu dans la compétition entre les artistes et les bundles faussent en partie les chiffres, d’où leur interdiction par le Billboard. A voir comment les changement du SNEP vont se manifester en France mais pour l'instant, ces méthodes sont encore pleinement utilisées. Comme Seine Zoo ou Big Flo et Oli dernièrement qui ont proposés des packs de précommande dans la même veine.